Type de document : article publié dans Le Monde (réservé aux abonnés)
Auteur : Lina Tamine
Extrait : Un à un, les oiseaux sont saisis avec précaution, puis nourris de grillons à l’aide d’une pince. Au centre d’accueil des animaux sauvages Faune Alfort, situé au sein de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne), des soigneurs, stagiaires et bénévoles, vêtus de blouses bleues et blanches, se croisent et s’affairent sept jours sur sept. Deux stagiaires de l’association (…) s’occupent de nourrir quelque 250 jeunes martinets recueillis ces dernières semaines, dans une pièce réaménagée pour l’occasion. (…) En attendant des conditions météorologiques favorables à leur relâcher, les oisillons sont installés dans des cartons et nécessitent des soins constants. « On les nourrit quatre fois par jour, nos journées sont consacrées à cela », précise-t-il. [fin de la partie disponible sans abonnement]Les martinets, qui nichent habituellement sous les toitures, comptent parmi les premières victimes des chaleurs estivales. « Lorsqu’il fait 30 °C dehors, la température peut grimper jusqu’à 60 °C sous les toits. Les oisillons suffoquent et se jettent dans le vide. Une fois au sol, ils sont incapables de redécoller, et leurs parents cessent de les nourrir », explique Céline Grisot, directrice de Faune Alfort.
Près de 2 000 animaux accueillis en juillet
Chaque jour, des particuliers se présentent au centre pour y déposer des animaux blessés ou affaiblis. « Il y a en permanence une file d’attente devant l’entrée. On nous apporte des oisillons tombés du nid, des hérissons, des pigeons, voire des chauves-souris », raconte la directrice. Le mois de juillet a connu une affluence inédite, avec 1 937 animaux en détresse accueillis, contre 1 506 sur la même période en 2024, soit une hausse de 24 % en un an. La raison de ce boom : les fortes chaleurs du début juillet, qui ont affecté la faune sauvage.
Mais depuis des années, l’association constate une hausse régulière des prises en charge, notamment l’été. « On a des augmentations annuelles de l’ordre de 10 % à 30 % », indique la directrice. L’année 2025 a marqué un tournant : le 2 juillet, en pleine journée caniculaire, le centre a enregistré 191 admissions, un record depuis la création de l’association en 2014.
Selon un rapport de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) publié en août 2024, les centres de sauvegarde connaissent un « pic d’activité extrême » en période de canicule. En France, en 2022, note l’association, « 7 % des admissions faisaient suite à des événements extrêmes, dont des vagues de chaleur, contre 0,9 % en 2021 ». De plus, le dérèglement climatique bouleverse les cycles biologiques et accentue la vulnérabilité de la faune sauvage. « Cette année, la haute saison a débuté plus tôt que d’habitude : dès avril, on avait cinquante accueils par jour, des chiffres que l’on connaît d’habitude plutôt courant mai », explique Mme Grisot.
Les saisons plus longues et plus douces prolongent les périodes de reproduction des animaux, désorganisant le calendrier habituel des soins, car les petits sont plus vulnérables. « Certains passereaux ont une troisième nichée en fin d’été, contre deux habituellement, et des hérissons mettent bas en octobre, quelques mois avant leur hibernation, donc on n’en voit jamais le bout », souffle la directrice.
A ces bouleversements climatiques s’ajoute l’impact direct des activités humaines. Collision contre des vitres, choc avec des véhicules, accident de tondeuse, dérangement lié à des travaux… 95 % des animaux reçus dans les centres de soins en sont les victimes.
« Un manque de volonté politique »
(…) Les oiseaux représentent près de 80 % des animaux admis, qui attendent d’être examinés, nourris ou soignés. Un travail considérable pour l’équipe, composée de sept soigneurs permanents et de quelque 400 bénévoles à l’année, en plus d’une dizaine de stagiaires. « On a passé quelques nuits blanches ce mois de juillet », confie le jeune homme.
Pour faire face à l’afflux, quatre soigneurs supplémentaires ont été recrutés pour la saison estivale, malgré des finances fragiles. (…) Les journées de plus de douze heures s’enchaînent, le centre est saturé. La situation est d’autant plus critique que la fermeture récente d’autres centres en Ile-de-France, comme celui de Rambouillet (Yvelines), spécialisé dans les rapaces, ou encore celui de la Société protectrice des oiseaux des villes (à Châtillon, dans les Hauts-de-Seine), accentue la pression sur Faune Alfort, le seul centre généraliste de soins à la faune sauvage dans la région.
D’ici à la fin décembre, le centre devrait avoir accueilli près de 10 000 animaux, contre 9 119 en 2024. « Il faudrait pouvoir se développer, ouvrir d’autres centres de soins généralistes et embaucher davantage, mais il y a un manque de volonté politique », regrette la directrice. Le centre fonctionne avec un budget annuel de 600 000 euros, financé à 75 % par des dons de particuliers et de fondations – une ressource très aléatoire – et à environ 15 % par des subventions publiques, essentiellement versées par la région et quelques communes.
« Il nous faut une véritable politique de soutien à long terme pour continuer à rendre ce service à notre faune », insiste Céline Grisot. Le centre prend en charge plus de 120 espèces, dont plusieurs protégées. En l’absence de moyens durables, craint la directrice, la fermeture temporaire du centre n’est pas exclue.
