Type de document : article publié dans The Conversation
Auteure : Réjane Sénac
Extrait : Au XXe siècle, les combats pour plus d’égalité ont permis à de nombreux groupes sociaux de devenir des sujets de droit. Cette progression vers davantage d’inclusivité pourrait faire du XXIe siècle le siècle des animaux. Mais comment les intégrer dans nos textes de loi ? Si les animaux ont des droits, ont-ils aussi des devoirs ?
Dans cet extrait de son essai « Par effraction. Rendre visible la question animale », aux éditions Stock/Philosophie magazine (2025), la politiste Réjane Sénac sonde ces questions. (…)
Dans l’approche antispéciste, le statut moral accordé aux animaux leur confère une reconnaissance comme sujets de droit, non pas pour accéder à des droits équivalents à ceux des humains (par exemple le droit de vote ou de mariage), mais à des droits adaptés à leurs besoins. L’enjeu est alors de penser la cohabitation la plus juste possible des intérêts, potentiellement divergents, des différentes espèces, humaines et non humaines. Dans Considérer les animaux. Une approche zooinclusive, Émilie Dardenne propose une démarche progressive dans la prise en compte des intérêts des animaux, au-delà de l’espèce humaine. Elle présente des pistes concrètes de transition aux niveaux individuel et collectif, qui vont de la consommation aux choix de politique publique en passant par l’éducation et la formation. Elle propose des outils pratiques pour aider à porter des changements durables. Au niveau individuel, la zooinclusivité consiste par exemple à prendre en compte les besoins de l’animal que l’on souhaite adopter et l’engagement – financier, temporel… – qu’une telle démarche engendrerait avant de prendre la décision d’avoir un animal dit de compagnie. Au niveau des politiques publiques, la zooinclusivité prendrait par exemple la forme de l’inscription des droits des animaux dans la Constitution afin de ne pas en rester à une proclamation de leur reconnaissance comme « des êtres vivants doués de sensibilité » (article 515 du Code civil depuis 2015) ou des « êtres sensibles » (article L214 1 du Code rural depuis 1976), mais de permettre qu’ils acquièrent une personnalité juridique portant des droits spécifiques et adaptés. Le rôle fondamental de la Constitution est à ce titre soulevé par Charlotte Arnal, animaliste, pour qui « un projet de société commence par une Constitution, les animaux faisant partie de la société, elle doit les y intégrer ». Cette mesure, qu’elle qualifie de symbolique, « se dépliera aussi concrètement dans le temps, dans les tribunaux ». C’est dans cette perspective que Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA), a pour ambition de faire de la Déclaration des droits de l’animal proclamée à l’Unesco en 1978, et actualisée en 2018 par la LFDA, un outil pédagogique diffusé dans les lieux publics et les écoles, puis qu’elle soit transposée dans la loi.
À travers Animal Cross, une association généraliste de protection animale, qu’il a cofondée en 2009 et qu’il préside, Benoît Thomé porte aussi cet horizon. Il défend l’intégration d’un article 0 comme base à notre système juridique, qui serait formulé en ces termes : « Tous les êtres vivants, domaines de la nature, minéral, humain, végétal, animal, naissent et demeurent libres et égaux en devoirs et en droits. » À l’argument selon lequel on ne peut pas accorder de droits aux animaux car ils ne peuvent pas assumer de devoirs, il répond que « les animaux font plus que leurs devoirs avec tout ce qu’ils font pour nous et les autres êtres vivants. (…)
Benoît Thomé souligne son désaccord avec Tom Regan sur le fait de considérer les animaux comme des patients moraux et non des agents moraux au sens où, comme les personnes vulnérables, les enfants ou les personnes en situation de handicap, ils auraient des droits mais ne pourraient pas accomplir leurs devoirs. Il souligne que les animaux accomplissent « leurs devoirs envers nous, êtres humains, et envers la nature et les écosystèmes pour les animaux sauvages, naturellement et librement, et non comme un devoir. Il faut donc “désanthropiser” ce concept pour le comprendre au sens de don, service rendu aux autres êtres vivants, participation aux écosystèmes ». Il précise que c’est « le sens de l’histoire » d’étendre les droits « de la majorité aux plus vulnérables », cela a été le cas pour les humains, c’est maintenant l’heure des animaux non humains. (…)


